Gouvernance de l’information : comment rester efficace et sobre ?
07 octobre 2024La production incessante de contenus numériques de tous formats est à l’origine d’un enjeu de taille : la gouvernance et le stockage de l’information.
La dématérialisation entraîne le stockage d’un nombre de données impressionnant. Qui augmente encore – si elle en avait besoin – l’empreinte environnementale du numérique.
Côté communication publique, citons également la loi de juillet 2022 qui impose la mise en ligne des arrêtés dématérialisés.
D’autant qu’environ 30% des données numériques sont ROT : redondants, obsolètes et triviaux (Veritas).
Dans ce cadre, quelle gouvernance de l’information mettre en place pour piloter les contenus et leur fin de vie ?
Avec pour objectif de favoriser la bonne trouvabilité de l’information et sa qualité.J’ai eu la chance d’échanger avec plusieurs personnes sur le sujet
• Pierre Bergmiller, Responsable communication numérique de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg
• Lise Bissonnette Janody, consultante en gestion et stratégie de contenu
• Noureddine Lamriri, directeur de la stratégie produit chez l’éditeur de logiciel Everteam.
La gouvernance de l’information
Noureddine
Si le concept de gouvernance de l’information existe conceptuellement depuis plus d’une décennie, il se met en place timidement dans les organisations.
Ces dernières années, avec la nécessité des organisations de revoir leurs approches de gestion de leurs contenus numériques, la gouvernance de l’information se développe fortement.
En tête de proue de cette dynamique, l’on peut citer la norme ISO 24 143 « Information et documentation — Gouvernance de l’information — Partie 1 : Concepts et Principes ».
C’est une belle avancée en la matière, car elle permet de structurer les processus.
À ce titre, citons l’article 9 qui vise à « Garantir la qualité et l’intégrité de l’information ». Il précise :
« Il convient que la gouvernance de l’information garantisse que l’information :
- est authentique,
- est digne de confiance,
- est complète et cohérente (dans l’ensemble de l’organisme),
- est fiable,
- est pertinente,
- est facile à retrouver et utiliser,
- est exacte,
- présente l’intégrité requise. »
En somme, cette nécessité de gouverner l’information relève d’un changement de paradigme imperceptible, mais pourtant bien réel.
Il peut être résumé ainsi :
La gestion du contenu au sein des entreprises bascule de « garder l’information au cas où » à « conserver celle-ci le temps nécessaire et la supprimer le moment venu ».
C’est en mettant en place les dispositifs de gouvernance de l’information que les organisations pourront distinguer structurellement les contenus utiles des contenus redondants, obsolètes ou triviaux.
Établir un référentiel de conservation des documents
Noureddine
La mise en place d’un référentiel de conservation est essentielle.
Cet outil permet d’établir, sur la durée, un consensus entre les différentes parties prenantes d’une organisation – juridique, métier… – sur la modalité d’application d’un cycle de vie sur les contenus.
Ainsi, chaque type de document est listé, décrit en précisant les règles qui régissent son cycle de vie. Ces règles sont approuvées dans l’ensemble de l’organisation.
Dans ces conditions, le référentiel de conservation devient un outil précieux. Il permet de :
- disposer d’une liste exhaustive des typologies de document,
- s’assurer de l’exactitude des règles applicables à chaque type de document.
Ainsi, la suppression du contenu devient possible et applicable à l’échelle d’une organisation tout en mesurant et pondérant les risques pris.
Finalement, il ne s’agit que de déterminer si conserver un contenu génère une opportunité ou le supprimer présente un risque.
Des outils d’analyse de contenus, comme ceux d’Everteam, permettent d’assainir de gros volumes de données selon
- leur date de création,
- leur date de dernière consultation,
- leur poids,
- leur format,
- leur nomenclature, etc.
Le patrimoine de contenu numérique ainsi asséché et assaini gagne en valeur tout en réduisant son impact environnemental.
Pierre
Au sein de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg, s’est posée la question de la durée de conservation des documents liés aux conseils municipaux et eurométropolitains sur le site internet principal : compte-rendu, délibérations.
Au-delà d’un certain nombre d’années, les documents liés aux conseils basculent au service des archives. Idem pour les vidéos, elles sont supprimées du site web et du serveur du prestataire, mais sont conservées sur le serveur des archives.
Interroger le format avant publication
Pierre : la civilisation dévoyée du PDF
Dans de nombreuses organisations, le PDF est devenu une solution de facilité pour publier des informations sur internet.
Un clic et hop, le PDF est généré à partir de tous types de documents : plaquette, programme d’activités, listes de structures, bilans d’activités, délibérations, politique publique…
Généralement ne sont pris en compte ni l’accessibilité – au sens RGAA -, ni la sobriété – au sens RGESN-.
Il convient de définir une politique partagée de gestion électronique des documents (GED). Elle structure leur production, mise à jour, gestion des versions, archivage, suppression et intègre également la question de leur mise en ligne sur internet.
Interroger l’utilité/ le caractère obligatoire du document avant de publier le contenu
Est-il nécessaire de rendre disponibles sur son site web tous les documents d’une organisation ?
Voici la méthodologie mise en œuvre par Grenoble Alpes Métropole pour guider ses décisions.
1 – Il y a-t-il une obligation juridique avérée* de publier le document sur le site de l’organisation ?
- * Liste des documents à établir par la direction juridique.
- Non = question 2
- Si oui, mise en ligne et en parallèle demande de mise en accessibilité prioritaire
2 – Est-ce un document indispensable au bon usage d’un service public (ex : règlement), à la réalisation d’une démarche (ex : formulaire) ?
- Non = question 3
- Si oui, mise en ligne et en parallèle demande de mise en accessibilité prioritaire
3 – Est-ce que la direction de la communication, en lien avec le service concerné, estime que ce document numérique apporte une valeur ajoutée à l’usager (ex : guide du tri) ?
- Si non, pas de mise en ligne
- Si oui, demande de mise en accessibilité, puis mise en ligne une fois le document conforme
Interroger les formats de publication
Pierre
- Pour les événements organisés par la collectivité, il est souvent fourni un flyer en PDF – au poids parfois considérable – pour publication sur le site internet. Nous préférons reprendre le texte de ce PDF « en dur » sur une page qui détaille les informations relatives à l’événement, avec un seul visuel.
Ainsi, le contenu du PDF sera directement intégré à la page et n’aura pas besoin d’être en téléchargement. - Les documents obligatoires sont déposés en ligne par le service producteur de l’information sur un dispositif développé avec l’outil Share point.
Le document est alors automatiquement affiché sur l’intranet et le site web.
Sa durée d’affichage est paramétrée dans l’outil en fonction de sa nature et des règles juridiques afférentes.
Conserver en permanence une vue sur son patrimoine éditorial
Lise
D’abord conçus pour gérer des médias haute définition et des actifs créatifs, les outils DAM (Digital Asset Managemen) sont souvent utilisés pour gérer l’ensemble des contenus à destination du marketing et de la communication client.
Plus qu’une plateforme de stockage, un DAM a besoin d’une taxonomie et des métadonnées pour faciliter :
- la ‘trouvabilité’ des actifs,
- le ‘reporting’ sur l’ensemble des contenus : volumétrie, typologies, utilisation, source, date de création, mises à jour vs nouveaux contenus, etc.
Les DAMs permettent également de systématiser la maintenance, notamment en automatisant les notifications d’alerte sur les échéances :
- Vérification de la pertinence de l’information
- Révision et mise à jour du contenu
- Archivage
- Suppression
Identifier les responsabilités autour du contenu
Lise
Comme pour tout outil de gestion des contenus, un DAM a besoin d’un responsable. Il définit les process de workflow et des règles simples pour garantir sa bonne gestion – ce qui n’est pas toujours facile.
Et chaque contenu stocké dans le DAM a également besoin d’un responsable : il est garant de l’actualité du contenu.
C’est un chantier souvent complexe à maintenir dans la durée.
Souvent en cause, la responsabilité des contenus non transférée en cas de changement de poste.
Dater les contenus web
Lise
En front, dater les contenus est une bonne manière de vérifier leur actualité et de rassurer les internautes.
Insuffler une culture de gestion des contenus dans le temps
Lise
Les mises à jour demandent du temps et donc du budget – budget que l’on oublie parfois de prévoir ! Il est donc important d’intégrer des métriques de mise à jour dans le reporting sur les contenus. Car souvent, le reporting porte sur les choses nouvelles, mais non sur les contenus froids. Les contenus sont mis en ligne puis oubliés.
Merci à Lise, Nourredine et Pierre pour ces partages.
Pierre Bergmiller dirige la communication numérique au sein de l’Europole de Strasbourg. Il participe à un groupe d’échange avec Nathalie Suze et Marc Cervennansky sur les pratiques des métropoles et notamment la question complexe de stockage des documents à publier sur internet.
Lise Bissonnette Janody intervient au sein de Dot-Connection sur des projets d’envergure liés aux ‘content operations’ et à la gouvernance des contenus, notamment auprès d’entreprises multinationales dans le secteur B2B ainsi que des organisations multilatérales au sein des Nations Unies.
Diplômé de l’ENSSIB, Noureddine Lamriri intervient au CNAM ou encore à l’EBD sur les sujets de la gouvernance de l’information. Il est coordinateur à l’ISO (International Standard Organization) . Dans ce cadre, il a participé à la construction de la norme ISO 24 143 sur la gouvernance de l’information. Il travaille au sein la société EVERTEAM, éditeur de logiciels de gestion de l’information.